Gardien des Légendes || Rivière

La pluie cognait contre les vitres de l'imposante bâtisse. Le vacarme assourdissant de l'eau contre les tuiles de zinc couvrait le hurlement de petits. Allongé sur les dalles de marbres, le petit félin gris qui se nommera plus tard Gardien des Légendes. La mère des enfants sortit de l'ombre, elle s'approcha de la portée pour leur donner le corps sans vie d'un mulot. Avides, ils se précipitèrent vers le denrée alimentaire. Qu'ils aimaient le goût âpre du sang encore chaud, la chair tendre et sanguinolente. Les petits prirent vite goût aux proies fraîchement tuées. A mesure qu'ils grandissaient, ils mangeaient de plus en plus. Comme tout chaton, ils se battaient entre pour assouvir leur domination. Les petits commencèrent à s'aventurer hors du nid confectionné par leur mère. Ce fut le chaton gris tigré qui franchit le parvis du bâtiment. Il découvrit le monde de l'extérieur. La scène de nourriture, les scènes de jeu et d'apprentissage rythmaient les journées des trois chatons. Ils étaient quatre, un avait péri lors d'une bataille fraternelle. Les petits n'avaient pas eu le droit d'exprimer leur chagrin. Les sentiments enfermés dans leur cœur sensible les torturaient. Les rêves n'étaient plus, seul le ballet incessant des cauchemars rythmait leur nuit.

Une journée d'été, la figure maternelle drapée de son éternel air énigmatique rentra sans festin. Les jeunes chats regardèrent leur mère avec curiosité. Sa fourrure rousse balafrée de rayures noirs était nimbée par les lueurs du soleil filtrant à travers les fenêtres opaques. Son odeur de charogne, sa fourrure hirsute, tout cela étaient des signes mauvais augures. Elle éleva la voix, cette voix promulguant les lois sur cet territoire : « Les enfants, vous n'avaient pas de noms, vous n'avez pas d'identité. Vous êtes des âmes solitaires destinées à errer sur les terres que vos aïeuls ont aussi parcourues. Vous êtes mettre de votre destin. Des que j'aurais a nouveau franchi le seuil de cet abri. Je ne serais plus votre mère. Je serais une solitaire qui sera dans la capacité de vous tuer. Une seule loi règne sur nous. La loi du plus fort. »Elle se tut. Elle fixa intensément les jeunes se trouvant devant elles. Ils n'étaient plus la chair de sa chair. Ils n'étaient que des inconnus. Et elle partit, sans se retourner. Elle marcha dans la flaque de lumière, et la silhouette s'évapora lorsqu'elle eut franchi le seuil. Pas un seul mot fut échangé. Le silence régnait. Puis un à un, ils se levèrent. Le seul gris tigré regarda une dernière fois sa fratrie, ses frères. Au nombre de trois, trois jeunes mâles fringuants, prêts à affronter le monde.

Et il grandit, et il se développa dans un monde cruel et libre. Ses pattes grises l'emportaient où il désirait, errant sur les terres tribales, s'échappant, combattant et tuant. Chasser, chercher un point d'eau, se battre pour refuge, voilà le quotidien qui semblait sempiternel pour le mâle anthracite. Et il foule avec assurance le domaine qui s'était fait sien, frôlant la mousse, écrasant l'herbes dociles, martelant les pierres polies par le temps, franchissant l'asphalte brûlante. Il était libre. Si libre, il vivait au jour le jour sans penser au lendemain. Il vivait dans le présent ayant oublier toutes choses passées.

La voûte céleste s'étirait au-dessus de lui, elle se para des couleurs flavescentes qui faisaient la réputation de ce ciel estival. Voilà quatre saisons, qu'il erre sans fin. Le passé enterré. Le passe enfouit dans son cœur, et pourtant prêt à resurgir. Avec application, il avait omis de se remémorer les fragrances de ses frères. Il ne les rencontrait plus, il ne les sentiraient plus. Leurs fourrures ne se frôleraient plus, les regards empreints de cet amour familial ne se croiseraient plus. Il avait voulu les oublier. Il le savait. Eux aussi, eux aussi avaient fait leur gageure. Les étoiles ne semblaient plus vouloir accorder le privilège aux mortels le droit de les mirer, et lentement elles s'estompèrent pour laisser place à l'omnipotent astre luisant avec force, réchauffant les cœurs. Lui seul pouvait d'une simple caresse apaisait les esprit tendus, il les réchauffait avec habilité sillonnant les moindres parcelles exposées. Les battements d'aile d'un de ces prédateurs nocturnes brisa le silence. Le claquement des membres élytres résonnèrent dans la brise levante. L'entendue herbeuse était parsemée de plantes scabieuses tranchant avec l'émeraude profond. L'astre de ses longs rayons ambrés effleuraient avec retenue les brins recherchant avec avidité la caresse. Par un faux-fuyant, une silhouette fantomatique émergea du territoire sylvestre se dressant derrière l'âme solitaire. Cette intervention fut la prémisse de la décadence du solitaire. Son univers qu'il pensait solide, s'écroulera tel un château de cartes.

La silhouette fantomatique et le solitaire anthracite se rencontrèrent de nombreuses fois, ils s'aimèrent. Les sentiments fugaces et incompréhensibles pour des âmes n'ayant connues que peu de sentiments si forts. Puis l'amour céda face à la jalousie grandissante de la féline immaculée. Par amour, il renonça à ses idéaux. L'être séditieux dut s'enchaîner aux lois, il étouffa cette personnalité dans l'unique but de la garder. Et Eole continuait de souffler avec force, il a abattit la dernière carte...

Le pourpre éclaboussa la paroi d'Obsidienne. L'odeur méphitique emplit l'endroit peu aéré. L'air vicié donnait des nausées à l'ancien solitaire. Le corps blanc gisait sur le sol entachait du sang. Les larmes coulaient, les pleurs voulaient être étouffés. Le sang, le sang. Il avait maculé les longs membres. Les griffes avaient pris la teinte de l'hémoglobine. La tête, le regard détaillant les courbes qui l'avaient enchaînées à ce mode de vie. Il s'était affranchi, elle le lui avait permis. La haine remplaça l'amertume. Les relents de ce sentiment écœurèrent le responsable. Il poussa de la patte le corps sans vie de ce qui aurait pu être le fruit tant attendu. Il murmura lentement : Je les aurai. Ils m'ont enchaîné, ils m'ont arraché le salut de mon esprit torturé. La chatte blanche coula un regard suppliant vers le mâle tigré. L'hésitation se lisait dans l'azur chatoyant. Et il enfonça ses crocs, forçant la Parque à sectionner le fil rouge. Et il quitta le lieu.

L'obsession de se venger d'elle le hantait. Le répit ne pouvait pas être accordé tant que le besogne ne serait pas accomplie. Il désirait hard emmener se venger contre les clans régnant sur la forêt.

 

Il n'y avait rien. Rien. Juste du vide. Puis... La colère dans les cœurs prit place. Elle devint de plus en plus dévorante. Indispensable, additive,  puissante, fallacieuse. La colère règne dans leur cœur, dans mon cœur. Puissante, sauvage et destructrice. Belle et flamboyante, émotion indomptable, elle les consume peu à peu. Qu'elle belle lovée dans cet parure sombre, qu'elle est majestueuse avec sa couronne ardente. La colère est partout, origine de beaucoup de maux. Mais pourtant elle prend elle sa source de nombreuses choses. Jamais les nombreuses sources ne seront taries, la colère sera toujours alimentée, toujours présente. La colère est présente dans mon cœur, elle est devenue une compagne fidèle. O douce colère, douce amie, serre-moi contre ton cœur ardent.